Animaux sauvages, Reportage

Droit des animaux au Costa Rica : un Eden sur terre?

Article rédigé en septembre 2017, publié dans le magazine Animaux Bonheur n° 17, été 2018

A travers les barreaux de sa cage, Tita regarde avec curiosité et méfiance les visiteurs du centre qui s’approchent. Les séquelles ne sont pas immédiatement visibles, mais cette femelle singe sapajou capucin a longtemps gardé la trace d’un collier incrusté dans ses chairs. Non loin d’elle se trouve Sixto, son frère, qui semble plus nerveux et se lance dans une série de cabrioles. Trouvés dans la forêt quand ils étaient bébés, les deux petits primates ont été vendus à des particuliers comme animaux de compagnie. Maltraités car devenus ingérables à l’adolescence, ils logent désormais au Centre de secours «Las Pumas», à Canas, dans la région du Guanacaste, au Costa Rica.

De nombreux singes sont arrachés à la nature pour être domestiqués
Tita, femelle Sapajou Capucin, Centre Las Pumas

Tita et Sixto font partie de ces animaux sauvages qui ont été détenus illégalement par des particuliers. Un phénomène courant au Costa Rica, puisque un habitant sur quatre garde chez lui un animal sauvage. Les deux petits singes ont eu de la chance d’atterrir dans un refuge qui se charge de réhabiliter les animaux sauvages pour les relâcher dans leur milieu naturel. Malheureusement, ce ne sera pas leur cas : désormais trop dépendants de l’homme, ils sont condamnés à la prison à perpétuité, avec pour seule consolation le fait d’être restés ensemble.Le Costa Rica est souvent cité comme pays exemplaire, et pionnier en matière de protection environnementale et animale. Qu’en est-il réellement sur le terrain?

Ce petit pays de 51 100 km² bénéficie d’une position géographique particulière. Formant un pont terrestre entre l’Amérique du Nord et l’Amérique du Sud, bordé d’un côté par l’Océan Pacifique, et de l’autre par l’Océan Atlantique (mer des caraïbes), le Costa Rica est doté d’une topographie variée grâce à ses chaînes volcaniques et montagneuses, et bénéficie de variations climatiques importantes d’une région à l’autre. Ce qui offre une panoplie d’habitats inédite à toutes sortes de plantes et d’animaux. 

«Le Costa Rica possède environ 5% des espèces décrites dans le monde, puisque plus de 8500 espèces de plantes ont été décrites, 220 espèces de reptiles, 160 espèces d’amphibiens, 205 espèces de mammifères et 850 espèces de oiseaux», précise le SINAC, qui est le système national des aires de conservation du Costa Rica, sur son site internet. Ce qui est d’une considérable densité au vue de la superficie du pays.

C’est pourquoi le gouvernement n’a pas hésité à sanctuariser une large partie de son territoire pour protéger ses richesses naturelles. Aujourd’hui, plus de 25% du territoire est classé en zones protégées, et un projet envisage d’ici quelques années d’augmenter encore ce pourcentage. Pas de doute, ces initiatives placent le Costa Rica comme chef de file dans le domaine de la conservation des ressources naturelles.

Le Costa Rica comprend une faune très riche, dont le puma
Miel, puma femelle, a été gardée jusqu’à ses 7 mois dans un enclos à poules chez des particuliers dans le Sud du Costa Rica. Centre Las Pumas

Au niveau législatif, le Costa Rica a pris la question au sérieux dès le début des années 1990. Il n’y a qu’à parcourir les différentes législations disponibles sur le site du Ministère de l’environnement et de l’énergie (le MINAE comme l’appellent les «ticos», habitants du Costa Rica) pour admettre qu’un véritable arsenal juridique a été mis en place pour protéger la faune et la flore du pays. La chasse «sportive» y est interdite depuis 2012, et il n’est évidemment pas possible de détenir des espèces sauvages comme animaux domestiques.

Ces lois peuvent être amendées par initiative populaire, ce qui a été le cas pour la Loi de conservation de la vie sauvage de 1992. Le 4 août dernier, le texte a été modifié pour considérer la vie sauvage comme une «propriété de domaine public». Résultat, tous les costaricains ont l’obligation de la «protéger et de la gérer correctement, pour les générations présentes et futures». 

En juin dernier, le Parlement a révisé une loi contre la maltraitance animale (n°7451), prévoyant des peines pouvant aller jusqu’à 2 ans de prison à l’encontre de ceux qui causeront la mort d’un animal domestique (1 an en cas de maltraitance, combats d’animaux, zoophilie ou actes de vivisection). Mais sont exclues du champ de cette loi les activités de pêche, d’élevage du bétail, ou encore les activités de recherche dans le domaine de la santé. Les animaux sauvages eux ne sont pas concernés par cette législation. La signature de cette nouvelle loi a été très médiatisée, car il a fallu 5 années de débats parlementaire pour qu’elle aboutisse. 

Sur le papier donc, le pays de la «pura vida» semble être bon élève en ce qui concerne la protection animale. La preuve en est, la faune est y abondante, diversifiée, et la cohabitation avec les grands prédateurs se maintient et permet aux écosystèmes de fonctionner «normalement». Mais pour Encar Garcia Vila, la biologiste qui a fondé le «Centro de Rescate Jaguar», près de Porto Viejo, sur la côte caribéenne, la situation doit être nuancée. 

«Dans les médias et la télévision, le Costa Rica est souvent cité comme exemple, mais la réalité est différente. Les lois environnementales et de protection des animaux qui existent ne sont pas respectées sur le terrain. Le MINAE (ministère de l’environnement et de l’énergie) qui s’est longtemps targué de sa politique de soutien financier aux agriculteurs qui replantent des arbres dans leurs propriété, donne actuellement des permis pour couper des arbres pour construire des maisons ou des routes. Résultat, la déforestation se poursuit, ce qui pose évidemment problème aux animaux sauvages qui perdent de plus en plus leur habitat naturel.

De nombreux oiseaux peuplent les forêts du Costa Rica, dont les magnifiques toucans colorés
Un toucan dans le parc national de Cahuita

Il y aurait donc une contradiction importante entre le discours du Président de la République Luis Guillermo Solis, qui met en avant dans chacun de ses discours la «couverture verte du Costa Rica» et la réalité où des décrets viennent apporter des exceptions aux principes législatifs d’origine. Malgré l’existence d’un tribunal de l’Environnement créé en 1995, le juge Juan Luis Camacho, qui est à sa tête, croule sous les dossiers, et il n’y a pas assez d’inspecteurs pour sanctionner les braconniers.

Autre problème de poids que l’Etat préfère passer sous silence : le fléau de la culture intensive de la banane et de l’ananas, destinés à l’exportation. La déforestation et l’utilisation massive de pesticides peuvent avoir des effets dévastateurs sur les milieux et leurs habitants, humains comme non-humains.

«Cela nous arrive de récupérer des animaux mal formés au refuge, ou qui ont de graves problèmes de santé, comme on a pu le constater avec des caïmans. On suspecte les pesticides d’être à l’origine de cela», explique Arnaud Hoareau, guide bénévole breton au Jaguar Rescue Center. 

Le travail des centres qui récupèrent les animaux sauvages pour les remettre en liberté n’est pas aisé. Un nouveau règlement vient d’être publié, qui rend leur travail encore plus compliqué. Le texte précise par exemple que les animaux orphelins ne pourront plus être hébergés dans les centres de sauvetage. «Nous recevons beaucoup de petits paresseux, dont la maman a trouvé la mort en s’électrocutant sur les fils électriques qu’ils utilisent pour se déplacer. Si nous ne pouvons plus les récupérer dans les centres de sauvetage, que deviendront-ils seuls dans la nature? Ces bébés ne survivront pas !», s’indigne Encar Garcia Vila.

Les centres de sauvegarde prennent soins des paresseux
Un bébé paresseux au Jaguar Rescue Center

Aucun centre de sauvetage au Costa Rica ne reçoit de l’aide gouvernementale, ils sont tous financés par des particuliers et des dons provenant principalement de l’étranger.

Pour chaque animal qui est relâché, une autorisation du MINAE est requise. «Comme nous le faisons très souvent, nous avons une bonne relation avec MINAE, nous recevons habituellement les autorisations. Mais le plus difficile est qu’il y a de moins en moins de sites disponibles pour la remise en liberté, les sanctuaires sans touristes ou constructions sont de plus en plus grignotés», poursuit Encar Garcia Vila.

En ce qui concerne la situation des animaux domestiques, outre la loi adoptée récemment sur le bien-être animal, la réalité de terrain est parfois moins rose. «Dans les campagnes du Costa Rica, il y a beaucoup de chiens utilisés comme chiens de garde, notamment pour protéger le bétail des coyotes. Ils ne sont pas forcément choyés comme les animaux domestiques de la capitale San José, la plupart du temps nous les laissons attachés avec une chaîne», concède Don José, qui tient l’Albergue el Socorro, à San Miguel de Sarapiqui.

Il n’y a pas forcément de SPA comme en France pour les animaux domestiques, il faut donc compter sur les initiatives privées, et peu de moyens. Si les ticos semblent généralement soucieux du bien-être animal, «il n’est pas impossible de voir des jeunes s’amuser à lancer des cailloux à des animaux, iguanes par exemple, sans que cela dérange quelqu’un, mais cela dépend aussi du niveau d’éducation», observe Arnaud, le guide du Jaguar Rescue Center.

Un iguane peu farouche, Montezuma

Certains pensent que les centres de sauvetage devraient être fermés au public, car il n’est pas bon que les animaux sauvages soient en contact avec les humains. Mais le tourisme étant la première manne financière du pays, difficile d’envisager une solution aussi radicale.  

En définitive, le Costa Rica n’est pas forcément l’Eden sur terre pour les animaux, même si les nombreuses initiatives mises en place à ce jour garantissent tout de même un niveau de protection important. De quoi inspirer de nombreuses autres nations dont la France qui a encore du chemin a parcourir pour augmenter le niveau de bien-être de sa population animale, tant sauvage que domestique…