Animaux domestiques, Animaux sauvages

Peut-on être « amis » avec les animaux?

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Dans le monde très hétérogène de la cause animale, arrêtons-nous aujourd’hui sur les personnes qui clament haut et fort entretenir de véritables amitiés avec les animaux. Anthropomorphisme, regard biaisé ou sincère sentiment à respecter et encourager?

Article publié pour Les Bienveilleuses, le 18 septembre 2020

Faisant part de la détresse d’une veille dame vivant dans la forêt redoutant de perdre son « ami chevreuil » à l’ouverture de la chasse, me voilà immédiatement raillée par des chasseurs me reprochant ce témoignage, l’amitié entre les humains et les animaux ne pouvant exister selon eux. Forcément, dans leur regard, l’animal n’est qu’une « ressource » à exploiter, à notre disposition pour notre bon plaisir…

Passablement agacée par leurs messages moralisateurs et rabaissants alors que je venais simplement exprimer un sentiment de tristesse, j’ai jugé utile de rappeler quelques fondamentaux.

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Alors peut-on se lier d’amitié avec des animaux, et pas qu’avec des chiens ou des chats ?

 « L’homme dans son arrogance se croit une grande œuvre digne de l’intervention d’un dieu. Il est plus humble et je pense plus vrai de le considérer comme créé à partir des animaux », écrivait Darwin en 1838, plus de 20 avant la parution de son fameux « Origine des espèces ». A sa suite, de nombreux biologistes, ont tranché : entre l’Homme et l’Animal n’existe qu’une différence de degré, non de nature. De quoi ramener un peu d’humilité dans le débat.

Depuis, de nombreuses études sur le comportement animal montrent que beaucoup d’entre eux sont aussi proches de nous par leur intelligence, leur mémoire ou leur conscience. Ainsi, la biologie, l’éthologie (étude des mœurs des animaux), ainsi que les neurosciences, décrivent des processus semblables à l’œuvre tant chez nos compagnons domestiques et sauvages que chez nous.

Par exemple, les travaux du biologiste, directeur émérite de recherche au CNRS Georges Chapouthier sont à lire ou relire (G. Chapouthier, Le respect de l’animal dans ses racines historiques : de l’animal-objet à l’animal sensible [archive], Bull. Acad. Vet. France, 2009, 162 (1), 5-12). Tout comme ceux du biologiste et éthologue Frans de Waal, qui a juste titre se demande si nous sommes trop bêtes pour comprendre l’intelligence des animaux (Editions Les Liens qui Libèrent, 2016)…

Autres lectures parmi un grand nombre : « Marc Bekoff, Colin Allen, Gordon M. Burghardt, The Cognitive Animal. Empirical and Theoretical Perspectives on Animal Cognition, MIT Press, 2002, 482 p », ou encore « Jeffrey Moussaieff Masson, Raising the Peaceable Kingdom: What Animals Can Teach Us about the Social Origins of Tolerance and Friendship ». Yves Christen, L’Animal est-il une personne ?, Paris, Flammarion, 2009, 537 p.

Il n’est donc pas impossible de se rapprocher de ces « bêtes » qui ne le sont pas, au vu de notre biologie commune

Oui, nous sommes proches des mammifères, des oiseaux ou même des poulpes et c’est la science qui le dit. On a longtemps cru que le rire, la conscience de soi ou la morale étaient des comportements réservés aux êtres humains, mais les chercheurs ont fait reculer ces frontières.

Même si cela reste lent et poussif, le droit évolue également. Le Code civil, reflet de la société française, affirme depuis 2015, aux termes de l’article 515-14, que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité ». Chaque jour, des avocat(e)s qui défendent les droits des animaux, gagnent des procès et permettent de rehausser la dignité bafouée de ces êtres beaucoup trop tolérants avec nous. Merci à ces voltigeurs du droit!

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Nier nos similitudes pour rendre la cruauté acceptable

Moi ce qui m’inquiète, ce n’est pas qu’on puisse aimer les animaux et être amis avec eux (sans aller jusqu’à la zoophilie soyons clairs là-dessus bien sûr), mais que l’on nie leur sensibilité pour les utiliser comme bon nous semble. Certains n’hésitent pas à faire preuve de cruauté envers eux, au nom de cette suprématie humaine pourtant sans fondement. Faire souffrir un animal par plaisir (comme par exemple la chasse quand on ne mange pas l’animal après l’avoir tué, bien que dans les pays riches on peut se passer de protéines animales), indique une inquiétante insensibilité présageant de crimes futurs envers ses semblables.

Déjà Pythagore, Thomas d’Aquin, Montaigne, Kant ou Locke s’en inquiétaient. Cette idée a été reprise par la psychanalyste Anna Freud et l’anthropologue Margaret Mead, et a également été suggérée par Michel Foucault. Depuis, des études ont montré que la cruauté envers les animaux pouvait être synonyme de violences envers les humains.

Plus précis encore, certaines méthodes de violence à l’encontre des animaux permettent un plus grand détachement que d’autres : dans une étude américaine menée auprès de personnes incarcérées, la modalité la plus fréquemment employée était l’utilisation d’une arme à feu, qui garantit une certaine distance physique entre l’auteur et l’animal (on en revient à la chasse). Les autres méthodes étaient les coups, l’utilisation de poison, le jet d’un animal sur un mur ou un objet, l’étranglement ou l’étouffement, les coups de couteau, la noyade ou encore les brûlures (source).

On peut respecter sans amitié

A l’autre bout du spectre, se placent certains antispécistes qui préfèrent éviter toute référence à l’amitié entre humains et non humains. Le respect de l’animal implique que pour éviter de les faire souffrir de quelque manière que ce soit, mieux vaut éviter de les côtoyer, la domination n’étant jamais loin, et l’enfer pavé de bonnes intentions.

C’est un choix qui se respecte. Malheureusement, cette vision nous prive presque de toute proximité ou contact avec les animaux, qui ont pourtant tellement à nous apprendre, pour nous rendre plus « humains »…

On protège mieux ce que l’on aime

Enfin pour finir n’oublions pas que la l’on évoque depuis quelques années la 6e extinction de masse des espèces (voir Gerardo Ceballos, Paul Erlich et Rodolpho Dirzo, Biological annihilation via the ongoing sixth mass extinction signaled by vertebrate population losses and declines, Proceedings of the National Academy of Science of the United States of America, PNAS, 10 juillet 2017 ; Voir également Rodolfo Dirzo, Hillary S. Young, Mauro Galetti, Gerardo Ceballos, Nick J. B. Isaac, Ben Collen, Defaunation in the Anthropocene, Science, 25 juillet 2014), et cela s’accélère d’après les derniers chiffres récemment publiés. La planète n’avait pas connu pareil effondrement du vivant, aussi rapide et puissant, depuis la fin des dinosaures au crétacé, il y a 65 millions d’années.

Cela fait des décennies que certains scientifiques tirent la sonnette d’alarme, mais l’hécatombe s’amplifie année après année et de plus en plus d’animaux disparaissent, et cela est le résultat indéniable des activités humaines. Jusqu’à ce que cela soit notre tour…

Pour les Bienveilleuses, il semble évident que l’on est plus à même de prendre soin de ceux que l’on aime, humains comme non-humains, à commencer par nous-même. L’amitié et l’amour peuvent prendre différentes formes, et il est parfois difficile de décrire avec des mots le sentiment qui nous enrobe lorsque nous sommes en communion avec ces êtres qui vivent à nos côtés, apparemment silencieusement, mais qui ont pourtant tellement à dire et à offrir.

Alors oui, l’amitié entre les humains et les animaux non humains peut exister, elle est même à encourager pour le bien des deux parties. Nous en ressortirons tous gagnants!