Chaque année en France, des centaines de millions d’animaux sont élevés, parqués, transportés et abattus en vue de leur consommation. L’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir (O.A.B.A) est la première association en France à avoir protégé ces animaux de ferme. Rencontre avec son Président, le docteur vétérinaire Jean-Pierre Kieffer.
Interview réalisée le 28 novembre 2019, publiée sous pseudonyme dans le magazine Animaux Bonheur n° 25 (été et rentrée 2020), p. 14
L’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoir (OABA) existe depuis 1961, afin de protéger les animaux élevés pour être consommés. Comment est née cette association reconnue d’utilité publique?
Dr J.-P. Kieffer : Une rencontre inattendue, en 1958, dans une rue de Menton est à l’origine de l’OABA. Un âne échappé d’un abattoir était venu trouver refuge près d’une femme et de sa fille. Jacqueline Gilardoni recueille l’âne, le nomme Amigo et le fait échapper à la boucherie. Elle s’interroge alors sur les abattoirs.
Révoltée par les méthodes d’abattage qu’elle découvre, elle consacrera sa vie à la cause animale en luttant pour humaniser la mise à mort des animaux. Il faut savoir qu’à cette époque l’usage des pistolets d’abattage n’était pas obligatoire et la plupart des animaux de consommation étaient abattus en pleine conscience.
C’est ainsi, qu’elle fonde, en avril 1961, l’Œuvre d’Assistance aux Bêtes d’Abattoirs (OABA) qui sera reconnue d’utilité publique dès 1965. L’OABA est la première association en France protégeant les animaux de ferme. Les efforts de Jacqueline Gilardoni commenceront à porter leurs fruits dès 1964, avec un décret rendant obligatoire l’étourdissement des animaux avant leur saignée.
Jacqueline Gilardoni a présidé l’OABA pendant quarante ans, jusqu’à sa mort en février 2001. J’ai l’honneur aujourd’hui de lui succéder.
Que fait l’OABA concrètement pour venir en aide aux animaux promis à l’abattoir?
L’objet de l’OABA est la protection des animaux de ferme, de l’élevage à l’abattoir. Cette association a été pendant longtemps la seule à se soucier des conditions d’abattage. Aujourd’hui, c’est un sujet qui concerne de plus en plus les citoyens, qui veulent savoir dans quelles conditions les animaux sont élevés, transportés et abattus.
Des délégués salariés de l’OABA, vétérinaires de formation, interviennent pour faire des audits de protection animale dans les abattoirs. L’objectif est de s’assurer du respect de la réglementation existante en matière de protection animale et de relever les non-conformités. Le dialogue, l’information, voire la formation sont privilégiés pour encourager les professionnels à améliorer les conditions de traitement des animaux. Cependant, en cas d’infractions sérieuses et répétées, l’association n’hésite pas à lancer des procédures judiciaires contre les auteurs de mauvais traitements Outre ces actions de terrain, l’OABA intervient au sein des instances nationales et européennes pour alimenter la réflexion en amont des textes et faire évoluer la législation dans un sens plus favorable au bien-être des animaux de ferme en Europe.
Qu’en est-il des sauvetages d’animaux?
Le deuxième rôle important de l’OABA est le sauvetage d’animaux. De plus en plus d’éleveurs ont des difficultés économiques, sociales ou psychologiques et les animaux en pâtissent. Lorsque les animaux sont maltraités ou victimes d’abandon de soins, ils peuvent être retirés à leur propriétaire par les services vétérinaires et ils sont confiés à une association de protection animale. L’OABA intervient de plus en plus souvent. L’année écoulée, près de 1400 animaux nous ont été confiés. Ces animaux échappent alors à l’abattoir. Mais malheureusement, nous sommes sollicités parfois trop tard et nombre d’animaux sont morts. C’est une action de terrain à laquelle nous sommes attachés.
Depuis que vous présidez l’OABA, voyez-vous le sort de ces animaux évoluer ?
Je préside l’OABA depuis bientôt 20 ans. Il est certain que le sort des animaux a évolué en deux décennies. Les principales avancées réglementaires viennent de l’Europe. Les règlements européens créent des contraintes de plus en plus fortes pour prendre en compte le bien-être animal. L’animal a été reconnu comme être sensible dans le code civil en 2015, alors que le code rural reconnait ce statut depuis 1976.
Les conditions d’élevage ont évolué avec les avancées scientifiques. Les travaux sur la douleur ont permis de modifier certaines pratiques en tenant compte des besoins physiologiques, mais aussi de la souffrance physique et mentale des animaux.
La prise de conscience des citoyens a été déterminante pour voir évoluer le sort des animaux. Le consommateur est devenu exigeant sur les conditions d’élevage et d’abattage des animaux.
Pensez-vous que l’on puisse mettre à mort un animal sans lui occasionner de stress ou de souffrance?
Le stress est inévitable. Transporter des animaux de l’élevage à l’abattoir, parfois en passant par un marché aux bestiaux ou un centre d’allotement, crée une situation stressante pour les animaux. Le chargement et le déchargement d’un camion est une épreuve, surtout si ces manipulations ne sont pas faites dans le calme. L’arrivée à l’abattoir est une nouvelle étape qui crée un stress. Les animaux sont sensibles aux odeurs, aux bruits.
Il est possible de réduire la souffrance des animaux à l’abattoir. La mise à mort par saignée nécessite d’insensibiliser préalablement l’animal. Le décret de 1964 rend obligatoire l’étourdissement sauf dérogations pour la viande halal ou la viande casher. Dans ces abattages rituels, l’animal n’est pas étourdi, il est égorgé en pleine conscience. Au-delà de toutes considérations religieuses, politiques ou communautaires, la préoccupation de l’OABA est d’éviter la souffrance des animaux. Il est certain qu’un animal qui n’a pas été insensibilisé, le fait de l’égorger (couper la peau, les muscles, œsophage et trachée) est un geste extrêmement douloureux et l’agonie peut durer plusieurs minutes pour un bovin. C’est inacceptable pour l’OABA.
Quelle est votre position sur le véganisme ?
Le véganisme est un mode de consommation mais aussi de vie excluant toute utilisation de l’animal, sa viande bien sûr mais également son cuir. Cela exclut aussi la consommation d’œuf, de lait ou de miel. C’est donc un monde sans animaux dits « de production ». Un monde difficile à concevoir pour moi, en qualité de vétérinaire. Mais je pense que l’on doit réfléchir à sa consommation de viande, aux conditions d’élevage et d’abattage. Cela revient à éviter les élevages intensifs au bénéfice des élevages soucieux du bien-être animal, à manger moins de viande, à privilégier les labels de qualité.
Qu’attendez-vous précisément du Gouvernement actuel pour améliorer le bien-être des animaux d’élevage?
L’OABA attend de nouvelles mesures en matière d’élevage, de transport et d’abattage. Nous dénonçons sans relâche l’élevage intensif qui place des poulets de chair, des poules pondeuses, des porcs dans des bâtiments où ils sont confinés. Ces animaux privés de leur comportement naturel ne sont pas considérés comme des êtres sensibles mais comme des produits agricoles. Pour les adapter à ces modes d’élevage concentrationnaires, ils subissent des mutilations : coupe d’une partie du bec des poules, coupe de la queue des porcs, écornage des bovins…
L’abattage des animaux doit éviter la souffrance liée à la saignée, pour cela il faut rendre obligatoire l’étourdissement des animaux pour tous les types d’abattage, dont les abattages rituels.
Les transports sur de longues distances pour des raisons purement économiques sont inacceptables. La pire situation concerne ces animaux exportés de France vers des pays méditerranéens après des jours de transport en camion et en bateau.