Ecologie

Et si nous apprenions à notre cerveau à sauver la planète ?

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Article rédigé le 27 février 2019 pour le REV

Il est aujourd’hui difficile de nier la réalité et la gravité du changement climatique et de la 6e extinction animale de masse. Les études scientifiques se succèdent et pourtant, tant le grand public que nos dirigeants, ne semblent prêts à changer de mode de vie pour éviter d’aller droit dans le mur. Pourquoi agissons-nous de la sorte ?

Plus les preuves scientifiques du dérèglement climatique s’accumulent, moins la population semble concernée. Pire, les sceptiques montent au créneau de plus belle, à l’instar de Donald Trump qui n’hésite pas à assumer qu’il ne croit pas à la réalité d’un phénomène pourtant indéniable.

Pourquoi le monde ne se réveille-t-il pas de façon globale et radicale pour inverser la vapeur ?

Notre cerveau, ce responsable

Selon le psychiatre norvégien Per Espen Stoknes, le principal problème est d’ordre psychologique. En effet, l’information ne manque pas, nous ne pouvons donc pas accuser l’ignorance de nous conduire aujourd’hui à la catastrophe décrite en détail par le monde scientifique. Pire, plus les études sont alarmantes, plus cela semble contre-productif. 

Le coupable dans l’histoire ? Notre cerveau, qui cherche à tout prix à éviter les problèmes. Il met donc en place des mécanismes pour se défendre face à l’horreur de la réalité, avec pour résultat une inaction qui pourrait nous coûter cher.

Sébastien Bohler, docteur en neurosciences, auteur du livre Le bug humain, et si mieux connaître notre cerveau permettait de sauver la planète ? rappelle qu’après 300 000 ans d’évolution, « le cerveau n’a qu’un objectif : produire de la dopamine pour nous rendre heureux ». Le cerveau humain n’aime en effet pas les changements d’habitudes qui sont très énergivores et stressants pour l’organisme. Il favorise donc les comportements les plus automatiques et les plus rassurants possibles afin de diminuer l’impact de ce stress. 

Impossible d’envisager sérieusement l’extinction de l’espèce humaine, ce qui est bien trop pessimiste pour notre cerveau.

Plus concrètement, « au cœur de notre cerveau, un petit organe appelé striatum régit depuis l’apparition de l’espèce nos comportements. Il a habitué le cerveau humain à poursuivre 5 objectifs qui ont pour but la survie de l’espèce : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, étendre son territoire, s’imposer face à autrui. Le problème est que le striatum est aux commandes d’un cerveau toujours plus performant (l’homme s’est bien imposé comme le mammifère dominant de la planète) et réclame toujours plus de récompenses pour son action. Tel un drogué, il ne peut discipliner sa tendance à l’excès. À aucun moment, il ne cherche à se limiter. Hier notre cerveau était notre allié, il nous a fait triompher de la nature. Aujourd’hui il est en passe de devenir notre pire ennemi», explique le scientifique également rédacteur en chef du magazine Cerveau & Psycho.

Il existe donc des barrières mentales qui nous empêchent de voir la réalité en face. Parmi ces barrières, citons la dissonance cognitive. 

Dissonance cognitive

Le réchauffement climatique fait peur, tout comme l’idée de voir disparaitre une à une les espèces animales et végétales qui nous entourent. Mais les mesures préconisées pour enrayer ces phénomènes sont jugées trop contraignantes pour être appliquées : réduire drastiquement (dans l’idéal totalement) la consommation de produits animaux, arrêter de prendre les transports polluants comme l’avion, se passer de climatisation dans les pays chauds par exemple… Cela reste impensable pour une majeure partie de la population aisée. 

Ceci n’est pas sans conséquence sur notre moral et notre équilibre psychique, qui repose sur un besoin de cohérence. Même si nous sommes aujourd’hui de plus en plus sensibilisés à la nécessaire défense du vivant, nous n’agissons pas à la hauteur des enjeux. Entre la connaissance du problème et la reconnaissance du besoin d’agir, notre réflexe est de refouler ces informations pour éviter d’y penser. Ces contradictions intérieures entraînent un malaise profond. 

Cet état de tension inconfortable appelé dissonance, peut être réduit si l’on fait l’effort de modifier ses croyances et son attitude.

Remettre en question des habitudes et des croyances ancrées dans l’inconscient collectif relève de la gageure. Pourtant, aurons-nous le choix ?

Il y aurait un lien étroit entre la dissonance cognitive et la mémoire de nos actions passées. C’est ce que montre une étude parue le 23 janvier 2017 dans la revue internationale Scientific Reports du groupe Nature (Mariam Chammat, Lionel Naccache). Ces travaux suggèrent un rôle potentiellement délétère des comportements de compromission (compromission sociale, politique, professionnelle, affective, morale…) au cours desquels nous acceptons de commettre des actes qui entrent pourtant en opposition avec nos valeurs. Ces actions dont nous pouvons croire, – à tort -, qu’elles ne laissent aucune trace sur notre système de valeur une fois commises, sont susceptibles de le transformer insidieusement de manière plus ou moins profonde.

Faire tomber les barrières

Alors comment amener autrui à modifier ses idées et ses comportements ? Comme l’explique Fabien Girandola, Professeur de Psychologie Sociale à Aix-Marseille Université, de nombreuses recherches montrent tout l’intérêt qu’il y a à obtenir des engagements précis de la part de celles et de ceux dont on souhaite modifier durablement les comportements. 

Par exemple, une expérience a mis en évidence que la communication dite « engageante » peut s’avérer efficace pour promouvoir des comportements éco-citoyens chez les élèves de 9-10 ans et même chez leurs parents. Les familles qui ont été invités à s’engager par écrit, par le biais d’un « bulletin d’engagement » à modifier une habitude, comme par exemple prendre une douche plutôt qu’un bain, ou ne plus prendre la voiture pour les très courts trajets, ont réussi à modifier leurs comportements, davantage que ceux qui ne s’étaient pas engagés par écrit. Mêmes constats pour œuvrer à la protection du littoral méditerranéen auprès de plaisanciers (Joule, Masclef et Jarmasson, 2006), ou à la propreté des plages auprès de baigneurs (Joule, Bernard, Lagane et Girandola, 2007).

Cela montre bien l’importance de la décision dans le passage des idées (en l’occurrence des bonnes idées) aux actes. La communication engageante s’avère plus efficace que la communication classique pour obtenir des changements d’intentions comportementales et de comportements effectifs. Cela ne signifie pas qu’informer ou qu’argumenter ne sert à rien. L’information et l’argumentation servent au fil du temps à modifier les savoirs, les idées, les attitudes et, certainement, à provoquer des prises de conscience. 

Et si nous apprenions à changer nos habitudes ?

Pour Stanislas Dehaene, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire de psychologie cognitive expérimentale, « notre cerveau possède, dès la naissance, un talent que les meilleurs logiciels d’intelligence artificielle ne parviennent pas encore à imiter : la faculté d’apprendre ».

Les neurosciences mettent en évidence le fait que le cerveau se muscle : « l’information est traitée par le biais de phénomènes électrochimiques entre neurones dans une zone de connexion nommée les synapses. Celles-ci vont fonctionner d’autant plus vite – et mieux – que nous les stimulons, d’où l’importance des stratégies d’apprentissage que nous utilisons.

Dans son ouvrage Apprendre ! Les talents du cerveau, le défi des machines, Stanislas Dehaene évoque 4 piliers : le premier est que l’attention est indispensable. Il s’agit d’une orientation volontaire de notre esprit sur un point particulier nécessitant de mobiliser la concentration. Cela implique une notion d’effort nécessairement soutenu par une forte motivation. 

Le 2e pilier concerne l’engagement actif, qui assure le « mouvement » du cerveau. Pour bien apprendre, le cerveau doit en effet réajuster ses modèles mentaux. L’apprenant assimile de nouvelles notions en les reformulant en mots ou en pensées qui font sens pour lui.

3e pilier : l’apprentissage s’effectue par essai/erreur. La mise en pratique met en avant d’éventuelles erreurs ou insuffisances de compréhension. Des allers/retours entre la mémoire et l’action sont donc indispensables pour affiner l’apprentissage et le réajuster si nécessaire.

Sans consolidation, il n’y a pas d’acquisition durable

Enfin, 4e pilier, garder à l’esprit que pour changer une pratique, il ne suffit pas de le vouloir. Il est important de mettre en œuvre la nouvelle posture au moment où on l’apprend, puis de programmer des répétitions régulières, par espacement croissant, pour ancrer la trace mémorielle. Les réseaux neuronaux pilotant l’ancienne pratique sont en effet très solides car ils ont été générés et renforcés de nombreuses fois.

Enfin, n’oublions pas que l’apprentissage est également lié à la charge émotionnelle. Depuis l’origine, l’émotion a constitué un signal d’alerte relatif au danger ou aux ressources à traiter en priorité. Cela explique qu’une information émotionnelle soit mieux assimilée que toute autre.

Ces pistes montrent qu’il est aujourd’hui possible « d’apprendre à apprendre », pourquoi pas à modifier nos (mauvaises) habitudes afin d’évoluer. 

À côté de ces recommandations, nous encourageons de nombreuses autres façons de se changer de l’intérieur pour mieux agir à l’extérieur. Alors n’attendons pas pour passer aux actes : plantons des arbres, mettons les mains dans la terre pour faire pousser de quoi nous nourrir, apprenons la méditation pour mieux nous connaître, et mieux nous aimer, afin de mieux protéger le Vivant qui nous entoure.