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Combien les français sont-ils prêts à payer pour les animaux?

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Une équipe d’étudiants de Sciences Po, en partenariat avec le CNRS, a analysé près de 200 mesures prônées par des associations de défense des animaux. Objectif : retenir les 20 propositions les plus pertinentes, les chiffrer et appeler les pouvoirs publics à agir rapidement pour améliorer le sort des animaux en France, sous forme d’un appel citoyen publié ce 9 juillet 2020.

Entretien avec Romain Espinosa, chargé de recherche CNRS, et Jeanne Ziegler, étudiante à Sciences Po.

Propos recueillis par Célia Fontaine

Vous êtes 16 étudiant(e)s de 1ère et 2e année du campus de Nancy de Sciences-Po Paris à vous être lancés dans cette démarche, en partenariat avec le CNRS. Comment est née l’idée de ce projet ? 

Jeanne Ziegler : Nous devons cette initiative à Romain Espinosa du CNRS, qui est venu rencontrer les étudiants du campus à la rentrée 2019 pour exposer ce projet d’analyse en faveur des animaux. Malgré le fait qu’il s’agissait d’un travail bénévole qui se rajoutait à notre emploi du temps déjà bien chargé, nous étions assez nombreux à vouloir nous engager car le thème nous a inspiré.

Romain Espinosa : En effet, c’est une démarche que j’ai engagé en tant qu’ancien étudiant du campus franco-allemand, que j’estimais assez ouvert sur les questions animales pour pouvoir mener ce genre de projet. J’ai donné l’objectif et le cadre général, apporter des données chiffrées dans le débat public pour montrer aux citoyens que les coûts pour améliorer le bien-être animal ne sont finalement pas aussi importants qu’ils ne l’imaginent. Les étudiants ont ensuite travaillé sur le choix des mesures et leur chiffrage.

Pourriez-vous décrire votre méthode de travail? Sur votre site, vous indiquez que vous n’avez retenu « que les mesures les plus fiables en termes de chiffrage, le consensus potentiel, et l’impact potentiel ». Pouvez-vous en dire davantage ?

Jeanne Ziegler : nous nous sommes basés sur des données internet (sites des associations de protection animale) pour évaluer les mesures que l’on pouvait chiffrer avec le plus de précision possible. Si nous ne disposions pas de suffisamment de données, on ne retenait pas le sujet. Nous avons contacté une quarantaine d’associations de défense des animaux. Certaines n’ont hélas pas répondu à nos sollicitations, nous avons donc dû faire sans… C’est pour cette raison que leur nom n’apparait pas dans la liste (1) mentionnée sur notre site.

Romain Espinosa : Les étudiants ont listé d’abord près de 200 mesures. Ils ont ensuite monté des commissions thématiques une fois identifiées les mesures pouvant être rapidement mises en place et jouissant d’un fort consensus. Il fallait en effet réfléchir à la faisabilité de chaque idée, considérer le nombre d’animaux potentiellement impactés… De 200 mesures on est passé à 50, puis, deux mesures par commission : au final, seules 20 propositions ont été retenues.

Quelle est LA mesure de votre liste (si vous ne deviez en retenir qu’une seule, emblématique) qui selon-vous pourrait être mise en place le plus facilement et rapidement ?

Jeanne Ziegler : il y a eu au sein des étudiants un consensus sur l’élevage intensif. Nous étions tous d’accord pour essayer d’avancer sur cette thématique. Une des mesures s’intitule : Interdire les élevages industriels de type « fermes-usines ». Nous estimons à 4413 le nombre de fermes-usines actuellement en place devant transitionner vers de plus petites structures. Le coût du fonds de transition par an en étalant la transition sur 5 ans serait de 44,1 millions par an. Cela ne coûterait au final que 0,66€ par Français par an pour 5 ans, ce qui est tout à fait raisonnable.

Romain Espinosa : Pour la mesure qui pourrait être mise en place le plus rapidement sans que cela rencontre trop de blocage, on peut citer par exemple l’interdiction du déterrage des blaireaux et des renards. L’association One Voice a mis en lumière les conditions violentes dans lesquelles se déroulaient les déterrages, jugées inacceptables par le grand public. Interdire le déterrage de ces animaux en changeant la législation et en recrutant des gardes-chasse et policiers de la nature pour veiller au respect de cette interdiction ne coûterait que 0,01 euros par Français par an pour 5 ans  (sur la base d’un coût annuel de recrutement d’Agent technique rattaché à l’ONF estimé à 41.400 euros, divisé par les 67 millions de français).

Idem pour les menus végétaux dans les cantines, cela pourrait se généraliser car coûterait même moins cher que les menus avec produits animaux (- 40 centimes par repas). Mais les secteurs de la viande et du lait font encore barrage.

Votre travail met en avant la soutenabilité financière de la mise en place de ces mesures. Comment mesure-t-on le prix que seraient prêts à payer les français pour mieux protéger les animaux?

Jeanne Ziegler : il a d’abord fallu calculer le coût de ces mesures, en fonction des situations. Par exemple prendre en compte les coûts fixes pour les infrastructures, le coût pour les pouvoirs publics, répercutés sur les citoyens sous forme d’impôt… Nous n’avons pas intégré les coûts de long-terme associés aux changements de législation, car ils apparaissent trop incertains, ni les possibles pertes de profits privés associées au changement de législation.

Romain Espinosa : Nous avons soumis un questionnaire comprenant l’ensemble des mesures à un échantillon représentatif de la population française (enquête opérée par OpinionWay en ligne, avec 1500 participants, en mars 2020). Chaque participant était invité à indiquer le montant qu’il serait prêt à payer, par an sous la forme d’une hausse d’impôts, pour la mise en place de la mesure. Puis des tableurs ont été mis en place pour les calculs.

Pensez-vous que les chiffres varient beaucoup d’un pays à l’autre ou la France est particulièrement encline à vouloir évoluer sur la question du bien-être animal?

Romain Espinosa : En France, on note une très forte progression de l’opinion publique en faveur des animaux, un changement de mentalité que l’on doit sûrement au travail d’information effectué par certaines associations très actives. Par exemple L214 a apporté beaucoup d’informations sur ce qu’il se passait réellement derrière les murs des abattoirs, un monde totalement méconnu du grand public. Ce qui leur a apporté de la crédibilité, et un changement de regard sur ce que nous faisions subir aux animaux d’élevage.

Pourtant, il existe un fossé énorme entre ce que pense l’opinion publique et la situation sur le terrain. Par exemple, nous sommes le pays où l’on peut chasser le plus grand nombre d’espèces d’oiseaux en Europe !

Comment comptez-vous convaincre le Gouvernement, vu que certaines de ces mesures auraient pu être mises en place depuis longtemps? Qu’est-ce qui bloque encore selon vous?

Romain Espinosa : Si on a toujours du mal à transposer en politiques concrètes les aspirations des français, c’est parce que le lobby de la chasse ou de l’élevage est très puissant.

Pourquoi selon vous le « lobby » de la cause animale ne bénéficie-t-il pas de la même force de frappe que le lobby industriel ou de la chasse, vu que les citoyens sont majoritairement prêts à payer pour mettre en place ces mesures?

Romain Espinosa : Il faut tout de même noter d’importantes avancées dans le paysage, politique par exemple, avec l’émergence du Parti animaliste. Ce dernier a vocation a faire pression sur les politiques actuelles afin de montrer que la question animale est de fait désormais dans le débat public  (Ndlr : 12 membres du Parti animaliste ont été élus aux municipales de juin 2020).

On a vu récemment que certains politiques de la majorité s’étaient saisi de la question de la protection animale, avec le rapport du député Loïc Dombreval (Président du Groupe d’Etudes « Condition Animale » à l’Assemblée Nationale) dont les propositions ont été élaborées en concertation avec les associations. J’ai moi-même été auditionné sur différentes questions, mais cela concernait uniquement les animaux de compagnie, et l’objectif était de proposer des réformes à coût zéro… Notre travail ici est plus large car englobe tous les animaux et propose des données chiffrées, qui apportent du sérieux au travail des associations.

Il y a encore beaucoup de marge de progression quand on voit que des structures comme la Cellule DEMETER, mise en place par le ministère de l’intérieur…

Lien vers le site des 20 mesures

(1) Liste d’associations sollicitées : 269 Life, Acta, AFAAD, Alarm, Anonymous for the Voiceless (INT), Antidote, ASPAS, Association Stéphane Lamart, Association végétarienne de France, Boucherie Abolition, C’est Assez !, CIWF France, Cj-Vegan, CNSPA, Code animal, Droit des Animaux, DxE France, Earth Resistance, Fondation 30 millions d’amis, Fondation Assistance aux Animaux, Fondation Brigitte Bardot, Humanimo, IFAW, L214, LFDA, LPO, OABA, One Voice, Paris Animaux Zoopolis, PETA, Pro Anima, Sea Shepherd France, SNDA, Société anti-fourrure, Someone Not something, The save movement, Vasara, Vegan Impact, Welfarm, SPA, Greenpeace France.